Histoire : en cours

Le jour où j'ai rencontré Jiro a marqué ma vie parce que jamais, oh grand jamais, je ne m'étais préparé à rencontrer un type pareil. Je me souviens de tout, surtout de la réaction de mon oncle. Nous nous étions préparés pour pêcher, comme d'habitude, mon oncle et moi-même étions dans la voiture quand on l'a vu. Nu. Tranquillement en train de se promener en plein milieu de la route. Les voitures freinaient, le contournaient comme elles le pouvaient, klaxonnaient devant une telle exhibition. Sur les trottoirs, les femmes détournaient le regard, rougissantes, et celles qui étaient avec des enfants mettaient leur main devant leurs yeux innocents afin qu'ils ne voient pas un tel spectacle. C'était la première fois que ça arrivait en ville. Mon oncle sortit de la voiture, m'ordonnant d'aller à la maison, et là (cette scène me choqua énormément), il attrapa le type par le bras et le tira jusqu'à sa maison où il le fit entrer de force en jurant. Je ne disais rien, je regardais simplement la scène se dérouler sous mes yeux, il l'insultait de tous les noms possibles et imaginables, tandis que l'autre le regardait avec un air ahuri, il ne semblait pas comprendre ce qui lui arrivait. Mon oncle lui posait des questions, l'autre le regardait puis au bout de dix secondes arqua un sourcil et tira une tête pire que la précédente. Il fut couvert d'une veste qu'il retira dix secondes après en fronçant les sourcils. Ils se mirent à se battre à cause de cette veste, l'un voulait qu'il la mette, l'autre la retirait. Lorsque mon oncle abdiqua, il s'installa sur son fauteuil et nous observions l'inconnu qui scrutait le salon et touchait à ce qu'il pouvait, mais toujours avec cet air décalé. C'est à cet instant qu'il me donna l'impression d'un animal perdu et craintif. Mon oncle se leva, prit la veste et la posa de nouveau sur ses épaules gardant ses mains dessus, comme pour le maîtriser. L'autre tourna la tête vers lui, quelques secondes après et le regarda, mon vieil oncle le prit dans ses bras comme il le faisait avec moi quand j'avais peur, peut-être avait-il eu la même impression que moi...
Après cela, l'inconnu se montra plus docile, mais ne répondait toujours pas aux questions de mon oncle ni même au mienne, comme s'il ne comprenait pas. Avec mon oncle, nous avions fait des hypothèses celles que nous avions retenu était qu'il s'agissait d'un malade mental qui s'était échappé de l'hôpital. Alors il contacta tous les hôpitaux dans les parages, décrivant du mieux qu'il pouvait l'homme qui s'était incrusté dans notre vie. Mais personne ne cherchait quelqu'un comme lui. Nous étions de plus en plus intrigués, et mon oncle me demanda de rentrer chez moi, je ne pouvais pas m'y opposer, il était déjà tard et mes parents ne tarderaient pas à s'inquiéter...

Lorsque mon n'veu quitta la maison, je m'suis précipité vers ce type j'l'ai assommé de questions mais il répondait pas. Ah ! J'l'aurais bien giflé ! Mais j'pouvais pas, s'il comprenait pas, c'tait pas d'sa faute ! J'voulais pas d'puces à la maison, alors j'l'ai emmené à la douche ! Un bon bain bien chaud ! Au départ, il était content ! Mais quand son pied toucha l'eau chaude il voulait plus rentrer dedans ! Quel couillon ! J'l'ai forcé en jurant ! J'avais pas l'choix, 'fallait bien qu'il soit propre ! J'l'ai donc frotté, il semblait ailleurs... J'dois avoué avoir eu peur, on sait jamais ! Les fous, les psychopathes et les tarés, ça arrive n'importe quand n'importe où ! Ils demandent pas la permission ni rien ! Et puis, ça fait les gentils mais dès qu'on tourne le dos on nous poignarde ou nous vole ! Ces ordures ! Peuh !
Bref, après ça, j'ai passé toute ma soirée à essayer de lui expliquer certaines choses, d'avoir des réponses. Il avait l'air intrigué, intéressé, pis au final, bah rien. Le lendemain, c'était pareil ! J'ai essayé de l'habiller avec des vieux vêt'ments, mais il voulait pas. Sur l'coup j'me suis d'mandé si c'était pas un de ces exhibitionnistes ou un nudiste, m'enfin, pas chez moi ! 'Veux pas d'ça moi ! Et pis au final il a accepté, j'sais pas pourquoi. J'lui ai quand même red'mandé son nom, mais il disait rien, alors j'me suis d'mandé s'il était pas sourd ! Bah quoi ? On sait jamais ! J'lui ai dit d'écrire, mais il a r'gardé la feuille et le crayon avec son regard de con donc j'ai pas insisté... J'lui ai fait des signes aussi ! Là, il a souri, et ensuite il a ri, c'couillon se foutait de moi ! J'pouvais pas accepté ça, alors j'l'ai giflé ! Quel bonheur à cet instant ! Mais j'm'attendais pas à c'qu'il m'en retourne une. Hé ! C'est qu'il est costaud ! M'enfin ça a rien apporté au final... Alors j'l'ai appelé Jiro, mais l'avait l'air de s'en foutre total'ment, donc j'ai gardé c'nom en attendant qu'il dise le sien.
Jiro a tout appris de moi ! 'fin j'ai galéré à lui apprendre les choses d'la vie ! Il retenait jamais rien ! Sauf la prononciation et encore ! J'ai passé dix mois à lui apprendre comment dire certains mots, mon nom, et ce qu'il fallait pour survivre. M'enfin, il ret'nait pas grand chose, ça prenait du temps et il était HS ! J'ai persisté et j'ai réussi ! Comme quoi, travailler dur porte toujours son fruit ! Et pis, vu qu'il commençait à bien s'débrouiller et que j'm'étais un peu attaché à lui, 'faut dire c'qu'i' en est, j'ai décidé d'l'emm'ner à la pêche! J'l'ai donc embarqué dans ma voiture et j'l'ai emm'né jusqu'au lac. Il connaissait ce mot, mais j'crois qu'il savait pas c'que ça voulait dire. Quand il a vu, il était tout fou, tout content, il voulait plonger à chaque fois, 'reus'ment qu'j'étais là pour l'empêcher d'le faire ! Il arrêtait pas d'dire que c'tait sa « maison », j'me suis dit qu'il d'vait être vraiment fou, ou alors qu'il avait eu un grave accident... Mais il avait aucune cicatrice sur lui ! C'tait bizarre... Et pis, dès que j'attrapais un bon gros poisson, ou un poisson tout court, il s'énervait, mais j'les gardais quand même, nan mais oh ! Et l'soir, c'était pis quand j'devais lui faire manger les poissons ! Il refusait total'ment ! Alors j'me suis dit qu'il n'aimait pas les poissons... J'ai pas insisté c'coup-ci, pourquoi forcé quelqu'un qui n'aime pas les poissons à en manger, sérieus'ment ?!
Bref, j'ai gardé le p'tiot chez moi pendant six ans ! On s'entendait bien, mais du jour au lendemain, pouf ! Disparu ! Il a juste écrit « merci » sur une feuille, rien d'autre. L'est parti avec tout c'que j'lui ai ach'té (c'est-à-dire, principal'ment des vêtements). J'm'inquiétais pour lui, mais 'l'avait sa vie à faire...

Un beau jour alors que le soleil frappait doucement la ville de son éclat majestueux, je vis cet être sans défense se débattre pour survivre dans une pauvre et misérable flaque d'eau. Cet être aquatique, sans hésitation je dirais qu'il s'agissait d'un... Poisson. Sûrement un simple poisson rouge, puisqu'il était rouge.. Je ne pus résister à l'attraction que j'avais pour ce petit être, je le pris dans le creux de ma main douce comme une pétale de fleur, arrivée dans ma modeste demeure, je le plongeais dans l'eau de l'évier dont j'avais bloqué le siphon. L'être légèrement sec revit dans le liquide transparent, soulagée, je pris une boite en plastique transparente que je remplis d'eau et je le mis dedans. C'est ainsi que commença ma vie avec lui...
En fait, il ne se passa pas grand chose, au bout de quelques mois il disparut, l'aquarium était détruit, et des traces d'eau menaient jusqu'à la fenêtre que je laissais tout le temps ouverte. Pourquoi kidnapper un poisson ? Qui plus est un poisson rouge ! J'ai attendu pendant quelques semaines son retour ou une quelconque demande de rançon, mais rien...